8 juin 2009

Le journaliste, le conseiller en RP et le pontife-blogueur… Ou comment les « nouveaux médias » peuvent brouiller les lignes de démarcation.

(Deuxième partie)

Comment les médias traditionnels américains (mainstream) ont-ils présenté leurs discours sur la professionnalisation journalistique et la professionnalisation des relations publiques, à travers le cas Armstrong Williams ?

L’affaire Williams est-elle présentée comme une violation de la profession journalistique ou une violation de la profession en relations publiques ?

C’est la première question de recherche de Marina Vujnovic dans son article Framing Professionalism and the Ethics of Journalism and Public Relations in the New Media Environment : The Case of Armstrong Williams.

L’auteure reprend certains cadres ou thèmes de références (framing devices) empruntés de Gamson et Modigliani pour étayer son article. Grosso modo, ce sont des méthodes d’analyse critique du discours (voire des typologies) servant à démontrer comment (à partir d’une nouvelle, d’une histoire, d’un récit ou d’un article, etc., on définit, explique, « positionne » ou raconte un enjeu controversé. Diverses typologies incluent des métaphores, des images, des représentations, des mots accrocheurs, des exemples, etc.

Considérations déontologiques

Tous les articles analysés du New York Times (NYT) ainsi que les commentaires glanés dans PR Week auraient mis l’accent sur des questions déontologiques que l’affaire Armstrong a suscitées à la fois en journalisme et en relations publiques. Les textes analysés indiquent que les considérations déontologiques, chez les deux professions, comportent des problèmes de définition. Malheureusement, Vujnovic ne développe pas cette perspective déontologique se rapportant à l’une et à l’autre des professions.

Pour y voir plus clair, il faudrait comparer, par exemple, les divers codes de déontologie des associations professionnelles. En quoi sont-ils différents ? Quelles sont les similitudes, le cas échéant ?

En voici quatre, deux en journalisme et les deux autres en relations publiques :

Le Code de déontologie de la Société canadienne des relations publiques et de la Société québécoise des professionnels en relations publiques;

Le Guide de déontologie des journalistes du Québec (Fédération professionnelle des journalistes du Québec-FPJQ);

Le Code of Ethics de la Society of Professional Journalists (USA);

Le « Code of Ethics » de la Public Relations Society of America (USA).

Au Québec (et en France), on fait une distinction entre éthique et déontologie, au plan professionnel. Curieusement, on ne semble pas retrouver cette distinction du côté américain; pourtant le mot deontology existe. Le Robert & Collins indique professional code of ethics pour traduire le mot déontologie.

Pour ceux que cela intéresse, voici une courte explication entre éthique et déontologie (pdf/ résumé d’une page). Cette explication s’insère dans un document intitulé Ethique ou déontologie : quelles différences pour quelles conséquences managériales ? L’analyse comparative de 30 codes d’éthique et de déontologie. (Henri Isaac et Samuel Mercier).

La blogueuse (et spécialiste en marketing Internet) Michelle Blanc, dans un billet courtois mais un peu narquois s’est penché sur quelques articles du code de la FPJQ (dont celui sur les conflits d’intérêts). On y retrouve plusieurs commentaires pertinents. De plus, elle souligne que la transparence devrait prévaloir en toute circonstance :

[…] Quoi qu’il en soit, un blogueur qui se respecte déclare toujours en ouverture de billet ses conflits d’intérêts. Je le fais systématiquement et je suis consciente qu’il y en a souvent. Je ne me souviens cependant pas d’avoir lu ou entendu un journaliste déclarer les siens. […]

Quant à la « bataille de tarte à la crème » que se livraient encore blogueurs et journalistes, Bruno Boutot a eu plusieurs choses intéressantes à dire ce sur cette question en 2008.

On sait que Williams s’est défendu en disant qu’il n’était pas journaliste mais un commentateur ou pontife (pundit). Donc, aucun code de déontologie journalistique ne s’appliquerait dans son cas… Cependant, plusieurs considèrent que Williams faisait partie de l’élite médiatique américaine (à cause de son travail de columnist en syndication); les normes déontologiques devraient donc s’appliquer dans son cas. C’est un peu plus tard qu’il fera son mea culpa :

After the USA Today revelations, Tribune Media Services terminated its syndication agreement with Williams. In a statement to Editor and Publisher (not available on its website), TMS stated: "[A]ccepting compensation in any form from an entity that serves as a subject of his weekly newspaper columns creates, at the very least, the appearance of a conflict of interest. Under these circumstances, readers may well ask themselves if the views expressed in his columns are his own, or whether they have been purchased by a third party".[6] Williams told the Associated Press "even though I'm not a journalist — I'm a commentator — I feel I should be held to the media ethics standard. My judgment was not the best. I wouldn't do it again, and I learned from it."[7]

Source : http://www.answers.com/topic/william-armstrong

Rôles embrouillés à cause des phénomènes de concentration et de consolidation?

Tous les articles et commentaires analysés font référence aux rôles de chacune des professions en regard des bouleversements d’affaires : dans le monde des médias (concentration, convergence des médias, dérèglementation gouvernementale, évolution de l’Internet, entre autres); mais également dans le monde des relations publiques dont la majorité des grandes firmes ou cabinets appartiennent également à des grands groupes tels que Worldcom ou WPP.

Ce thème fait état de problèmes dans la définition des professions quant à ce qu’un journaliste devrait faire et quant à ce qu’un conseiller en relations publiques devrait faire aussi, au plan des défis posés par ces bouleversements. Ce second thème est présenté en début de texte et au travers son corps principal.

Les fusions et/ou la consolidation de l’industrie des relations publiques des vingt dernières années combinées à celle des médias (notamment leur concentration aux mains de quelques grands groupes) est un autre thème indiquant des problèmes de diversité et de rareté : en matière de messages et au plan des stratégies de communication.

Ce thème suggère aussi que journalisme et relations publiques (à titre d’acteurs sociaux importants) sont mis au défi en matière de vérité, d’objectivité, de crédibilité et de transparence. Si les deux professions se perçoivent comme étant au service du public (quoique de différente façon) comment y parviennent-elles ?

Les textes « commandités » : pratique habituelle ou incident de parcours ?

Ce thème suggère que les textes « commandités » sont une pratique plus courante qu’on ne le pense, du moins auprès du grand public. La cas Armstrong Williams est traité comme étant une maladie symptomatique des deux professions (ndr : et non seulement propre aux relations publiques). Ce thème implique aussi que le gouvernement américain utilise des cabinets de relations publiques mais aussi des journalistes à des fins de propagande. Cependant, cette pratique violerait, selon le NYT, la loi fédérale américaine.

Dans cette optique, mais dans le monde de la télévision, le Center for Media & Democracy (PR Watch) a livré toute une bataille sur l’enjeu des fausses nouvelles (Fake News).

Le silence est toujours dommageable

Selon Vujnovic, il s’agit d’un thème récurrent à travers tous les textes analysés et particulièrement en regard du silence de l’industrie américaine des relations publiques à la suite du cas Armstrong Williams. On critique ce silence (et celui de Ketchum en particulier) dans une perspective de gestion de crise manquée; un silence dommageable pour la compréhension du public quant à l’éthique des relations publiques.

La seconde sous-question : L’affaire Williams est-elle présentée comme une violation de la profession journalistique ou une violation de la profession en relations publiques ?

Dans l’article du New York Times Spinning Frenzy : PR’s Bad Press, on dépeint Armstrong comme un professionnel-difficile-à-définir (et un Multimedia Wonder), i.e. ni un journaliste ni un professionnel des relations publiques. Dans cette optique, le NYT souligne aussi qu’Armstrong a violé les codes déontologiques les plus élémentaires des deux professions.

Un second article du NYT, Third Journalist Was Paid to Promote Bush policies, dépeint la violation du professionnalisme journalistique de deux façons : en matière de conflit d’intérêt et en matière de confusion des genres entre le journalisme, le commentaire et la consultation.

D’ailleurs, un fonctionnaire américain, Wade Horn, fait la remarque suivante :

''Thirty years ago, if you were a columnist, you were employed full time by a newspaper most likely, and it was very clear,'' he said. ''With the explosion of media outfits today, there are a lot of people who wear a lot of hats. Where's the line? What if you have your own blog? Are you a journalist?''

L’auteur Vojnovic note l’utilisation ainsi que la faiblesse de l’argument du conflit d’intérêt et de la confusion des genres puisque ce sont avant tout la divulgation et la transparence qui devraient guider toute décision professionnelle, particulièrement en relations publiques.

Du côté des relations publiques, PR Week, dans un article intitulé PR Transparency-Industry Reforms in Wake of Doe Scandal Inconclusive (ndr : introuvable dans le Web) écrit que l’affaire Armstrong Williams/Ketchum est la la goutte d'eau qui fait déborder le vase (the straw that broke the camel’s back).

Williams a violé la profession journalistique parce qu’il n’a pas divulgué au public que ses interventions étaient commanditées par le gouvernement américain; il a violé la profession de consultant en relations publiques puisque en s’identifiant lui-même (et un peu plus tard) comme propriétaire d’un cabinet de relations publiques, il brouille les lignes de démarcation entre journalisme, relations publiques, plaidoirie partisane (advocacy) et propagande primaire. (PR Week, 17 octobre 2005).

Voir aussi: The Emperor Doesn't Disclose: Why the Fight Against Fake News Continues (PR Watch)

Suite et fin dans le prochain billet…

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