22 juillet 2009

Le "message clé" : un paradigme en déclin ?

Quelques personnes savent déjà que quatre chargés de cours du Certificat de relations publiques préparent un vocabulaire à l'intention des étudiants du programme (je suis un de ceux-là). Plusieurs professionnels chevronnés révisent actuellement ce travail.

Disponible à partir de la rentrée d'automne 2009 (version Web/html et pdf), ce vocabulaire "itératif" intègrera d'abord une trentaine de mots ou de termes utilisés en relations publiques. Chacun des mots choisis comprend une définition privilégiée, une justification ainsi que deux ou trois autres définitions courantes tirées surtout de références bibliographiques.

Il s'agit d'une idée avec laquelle on jonglait depuis quelque temps. Plusieurs étudiants semblaient confus (et avec raison d'ailleurs) à propos de la multitude -voire surtout de la polysémie - des définitions de certains termes ou mots clés : objectif, stratégie, affaires publiques, enjeu, image, axe de communication, réputation, etc.

Quoique cette polysémie reflète la réalité des milieux professionnels et organisationnels, elle demeure improductive dans un cadre pédagogique.

C'est pourquoi on a finalement décidé de se mettre à la tâche dans le but d'offrir ce glossaire (qu'on nommera vocabulaire); il servira donc de "tableau de bord "et de "dénominateur commun" aux étudiants et à leurs enseignants. Il s'agit donc d'abord d'un "outil interne" mais disponible à tous.

Parmi la trentaine de définitions, on retrouve le terme "message clé".

Voici la définition retenue et sa justification:

Définition privilégiée
Une organisation élabore un message clé lorsqu’elle souhaite transmettre des informations dans le but de modifier la perception ou les attitudes des publics visés. La rédaction d’un message clé doit être pragmatique et l’argumentaire doit tenir compte des éléments de la stratégie et des tactiques utilisées.


Justification

Selon Prud’homme (2004) en relations publiques la crédibilité s’appuie en partie sur la qualité et l’efficacité de la formulation du message clé. Tout est dans la façon de dire le message et dans la manière de le transmettre. Avec différents publics, il est nécessaire de moduler le message clé selon les enjeux, les objectifs ou la stratégie. Il faut s’ajuster constamment, de là la complexité de composer le message clé et celui-ci peut changer d’heure en heure, notamment en gestion de crise.


Or, selon Matthieu Sauvé, un de nos réviseurs (et faut-il le rappeler une de nos éminences grises en RP au Québec) la tactique et l'efficacité du "message clé" est de plus en plus contestée en relations publiques.


Matthieu Sauvé nous réfère à un article assez récent rédigé par Eric Bergman (de Bergman & Associates), un spécialiste ontarien des relations avec les médias qui offre des formations de porte-parole.


Intitulé "The Fallacy of Staying on Message: Destined to become an outdated paradigm in an information-driven world", Bergman dénonce une certaine école de pensée en relations avec les médias.


Il rappelle que l'idée du "message clé" repose, historiquement, sur deux perspectives : celle de pouvoir contrôler le comportement d'un porte-parole par le biais de la répétition d'un message clé préparé; puis son corollaire: tenter de contrôler ce qui sera raconté par les journalistes à la suite de leur contact avec ce porte-parole.


Le concept du "message clé" (ou Staying on Message) est utilisé en RP Marketing, entre autres, pour soutenir une marque par le biais du "média mérité" (le earned media ) mais également en communication interne et externe.


Le "message clé", dans le contexte particulier des relations avec les médias, consisterait donc à " faire passer son message", quitte à faire la sourde oreille et à ne pas répondre franchement et clairement aux questions posées par les journalistes.


Pour Bergman, il ne s'agit pas d'une tactique saine visant à établir et à maintenir une relation positive à long terme avec quiconque, encore moins avec les journalistes. Pourtant, c'est ce qu'on semble enseigner encore dans de nombreuses formations de porte-parole... (Ignorez les questions et répétez votre message clé, c'est ce qui importe !)


Bergman cite un article de Trudy Lieberman (Columbia Journalism Review) sur ce sujet. Il faut toutefois se replacer dans le contexte du début de la guerre en Iraq (2003-2004).


Dans cet article, Lieberman relate à quel point la secrétaire à la défense américaine (C.Rice) ignore et refuse de répondre à une question précise (et sans doute un peu embarrassante) en martelant constamment ses "messages clés". (D'ailleurs, Bergman remonte aux années Reagan pour expliquer la tradition du "message clé" qui s'est répandue un peu partout par la suite dans le monde politique occidental).


Selon Lieberman, le paradigme du message clé et sa tactique corollaire de repositionner toute réponse vers ce même message clé (bridging to key messages) ne soutiennent ni la transparence ni la démocratie.


Pour Bergman, il s'agit également d'une gifle envers l'élément de rhétorique le plus élémentaire qui consiste à prendre en compte la nature du public qu'on tente de persuader...


Voici un lien vers l'article de Lieberman. (Il se peut que les non-universitaires ne puissent pas y avoir accès. Si c'était le cas, j'en suis désolé.)


Answer the &%$#* question! Ever wonder why they won't? They've been media-trained. And the public is the loser.


Par ailleurs, Bergman stipule que le paradigme du "message clé" ne tient pas la route lorsqu'on le compare au concept de la communication bidirectionnelle symétrique (le concept par excellence du professeur Grunig en relations publiques) ainsi qu'à certains articles des codes de déontologie de grandes associations telles que la PRSA et même celui de la Société canadienne des relations publiques (SCRP)


Par exemple, Bergman cite la première partie de l'article 3 du code de déontologie de la SCRP:


"Tout membre doit s'astreindre aux plus hautes normes d'honnêteté, d'exactitude, d'intégrité, de vérité et ne doit pas sciemment diffuser des informations qu'il sait fausses ou trompeuses. [...]


Bergman pose les questions suivantes: Ignorer une question dans le but de relayer un "message clé" est-il compatible avec les plus hautes normes d'honnêteté, d'exactitude, d'intégrité, de vérité ? Si on pense à quelqu'un d'intègre (qui est donc honnête et qui dit la vérité) pense-t-on à quelqu'un qui escamote une question ou qui refuse de répondre ?


La seconde partie de l'article 3 du code [...] ne doit pas sciemment diffuser des informations qu'il sait fausses ou trompeuses consiste-elle en une sorte d'échappatoire ?


Certains praticiens pourraient souligner que si le message clé demeure honnête, juste et véridique, il demeure acceptable peu importe la question posée...


Cet argument peut fonctionner selon Bergman, si on laisse tomber l'article 2 du même code qui stipule : Tout membre doit se conduire avec équité et droiture dans ses relations avec les médias et le grand public. [...]


Se conduit-on avec équité et droiture lorsqu'un porte-parole refuse de répondre ou répond de manière détournée à une question posée par une journaliste ? Madame Lieberman ne le croit pas et elle ne semble pas être la seule...


Bergman examine donc le paradigme du "message clé" dans une perspective de transparence et va plus loin que les relations avec les médias (communications internes, financières, etc.)


Cependant, il existe des situations où une organisation ne peut pas toujours viser une transparence totale (questions d'ordre juridique, de vie privée, de confidentialité, de négociations diverses dont des négociations syndicales, et bien entendu, des questions touchant la compétitivité des entreprises). Il y a donc une différence entre vérité et transparence.


Malgré tout, Bergman croit que le paradigme du "message clé" est porté à disparaître; il fait partie des trois premiers modèles historiques des relations publiques tels que définis par Grunig.


Le modèle le plus éthique (le modèle bidirectionnel symétrique) facilite une interaction d'égal à égal entre les individus et les groupes parce qu'une organisation qui intègre ce modèle se prête à l'écoute (et parfois écoute davantage) plutôt qu'à parler (ou à transmettre ses messages clés).


Notons au passage que l'écoute est la première tactique à déployer lorsqu'on veut s'engager dans des activités de RP 2.0.


Je vous laisse sur un court paragraphe de Brian Solis et Deirdre Breakenridge tiré du chapitre What's wrong with PR ? (p.13) de leur livre charnière Putting the Public back in Public Relations :


[...] "Don't speak in messages. Instead, spark conversations based on the unique requirements of each market segment and the people within them. And please, don't spin. We all hate when politicians do it. If you find yourself consistently selling or spinning instead of evangelizing, you might be in the wrong place in your career." [...]


Merci de votre lecture.


Prochain billet: au mois de septembre 2009 à moins que...




2 commentaires:

Pierre Bouchard a dit…

Merci, Patrice, pour ce long billet qui porte certes à la réflexion. Je donne beaucoup de formations de porte-parole et je parle effectivement de message-clé à mes clients. Par contre, je ne recommande jamais de mentir ou d'esquiver, mais davantage d'engager la conversation avec le journaliste. J'avoue que je n'aime pas l'expression "spin", mais je l'utilise parfois. Bref, votre billet m'amènera à revoir et à nuancer la formation que je donne.

Patrice Leroux a dit…

Merci Pierre de votre commentaire. Cette question du "message clé" comporte en effet quelques zones grises (et toujours selon le contexte) qui demeurent une bonne matière à réflexion et à débat. Martine Dorval nous a d'ailleurs offert une opinion intéressante à ce sujet sur LinkedIn (Groupe 2.0).

 
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