23 janvier 2011

Les relations publiques autrement de Matthieu Sauvé

Il y a de ces mémoires de maîtrise qui méritent d'être publiés. Celui de Matthieu Sauvé fait partie de ce lot. On ne peut qu'être reconnaissant envers le dynamisme de la Faculté de communication de l'UQAM, de ses chaires et groupes de recherche, et de la richesse de ses publications, notamment celles de la collection Communications-Relations publiques, dirigée par Danielle Maisonneuve.

Ce mémoire, adapté aux fins de publication, contribue non seulement à mieux saisir les fondements conceptuels et théoriques des relations publiques, mais recense les critiques faites à leur endroit, et alimente la réflexion sur le statut et le rôle de la pratique dans les organisations aujourd'hui.

Matthieu Sauvé contribue à l'analyse et à l'avancement des connaissances des relations publiques en opposant à la conception dominante actuelle de la pratique (le modèle managérial soutenu par le paradigme fonctionnaliste) une conception résolument postmoderne dans laquelle l'organisation n'est plus le centre principal ni l'assise fondamentale (un modèle social soutenu par les paradigmes interprétatif et critique).

Cela pourra certes surprendre bien des professionnels mais les fondements épistémologiques de Sauvé (un professionnel reconnu avec plus de 25 ans d'expérience) dont une démarche inspirée de la pensée réflexive, le conduisent à entrevoir, sinon proposer, un modèle de pratique ancrée dans une responsabilité citoyenne. Dans cette optique, sa réflexion se rapproche un peu plus du mouvement dit du Radical Public Relations au sein duquel on s'intéresse davantage aux impacts sociétaux qu'aux objectifs et besoins organisationnels.

D'autre part, même un Brian Solis souligne ici que la pratique peut se faire dans un autre cadre que celui du modèle managérial. Solis propose d'ailleurs aux praticiens de se tourner davantage vers les sciences humaines dans son Putting the Public Back in Public Relations, eu égard, il est vrai, à l'essor des médias sociaux et de leurs impacts sur la société.

Le mémoire de Sauvé se penche particulièrement sur trois dimensions du cadre conceptuel des relations publiques: l'absence de consensus quant à leur définition (et j'ajouterais la présence d'antinomies apparentes, voire de contradictions, par exemple à l'intérieur même des divers codes d'éthique des associations et sociétés);  le positionnement des relations publiques à titre de fonction de gestion stratégique; l'imprécision "relative" de leur finalité.

À travers ces dimensions, l'auteur passe en revue, et confronte, les fondements, les définitions, les concepts, les approches, et finalement " l'Histoire " des relations publiques:  de Bernays à Grunig, et de L'Etang à Ihlen, en passant par Cutlip, Center et Broom (pour ne nommer que ceux-là).

Pour ceux qui s'offusqueraient encore de voir le nom de Bernays (ré)apparaître, lisez l'excellent billet de mon collègue Bill Sledzic intitulé  Symmetrical PR Meets the "Cluetrain Manifesto". L'enjeu entourant " l'adaptation " n'est pas sans rappeler celui de "la convention opérationnelle et relationnelle durable" que souligne Sauvé à l'intérieur de sa proposition d'une "autre" définition des relations publiques.

Car en effet, comment concilier une pratique axée, par définition, sur l'atteinte d'objectifs organisationnels et d'autre part, prendre en considération les besoins et les attentes des parties prenantes ?  Intérêt privé et intérêt public vont-ils de pair ? Peut-on vraiment élaborer des processus  de communication pour influencer les comportements et attitudes d'un groupe et en même temps affirmer le désir d'établir avec ce même groupe des relations de confiance ? 

N'est-ce pas aussi de là que proviennent les critiques les plus acerbes : faiseurs d'image, spin doctors et autres opérations de relations publiques ? La théorie des parties prenantes vient-elle à la rescousse de ce dilemme  ou ne sert-t-elle qu'à atténuer "l'influence" de ces publics sur les activités organisationnelles?

Le statut des relations publiques dans les organisations demeure un autre point d'achoppement. S'agit-il d'une technique de soutien logistique, d'une fonction stratégique ou d'une véritable fonction de gestion ?  

Sauvé retrace les raisons qui ont incité les praticiens à définir leur pratique à titre de fonction de gestion et à épouser le modèle managérial : légitimité de l'approche "scientifique" (la question des mesures d'évaluation en termes d'impact et de portée ne faisait-elle pas encore partie de la grande nébuleuse des relations publiques au début du XXIe siècle - par rapport au marketing par exemple ? ) ; alignement avec le concept de gestion dont les éléments constitutifs de base (planification, organisation, direction et contrôle) trouvent un écho dans le modèle RACE (Recherche, Analyse, Communication et Évaluation); quête de légitimité auprès des hiérarchies supérieures à travers l'optimisation des communications et l'atteinte des objectifs organisationnels, entre autres.

Par contre, c'est au niveau de l'exécution (voire de la technique) - élément constitutif absent du concept de gestion ci-dessus - qu'on peut sans doute trouver une réponse au peu de cas fait des relations publiques dans la littérature managériale.  Ceci, et le fait que la prise en compte d'intérêts autres que ceux de l'organisation n'aurait pas la même importance pour les praticiens que pour les gestionnaires... À ce propos, il est intéressant de relire ce passage du livre Le destin des relations publiques (1977) de Paul Dumont-Frenette :

"La vocation véritable des relations publiques est de favoriser, par une pratique efficace de la communication, l’insertion de l’entreprise ou de l’institution qui fait appel à leurs services dans la réalité communautaire. "

Cette insertion dans la réalité communautaire impliquerait donc, pour favoriser son émergence, non pas un changement draconien de la pratique des relations publiques mais plutôt de ses prémisses mêmes. 

Sauvé en dénombre sept, tout en soulignant bien qu'elles procèdent d'une vision du monde pouvant aller à l'encontre de certaines réalités contemporaines.

1- La société est d'abord un espace public et non un espace marchand.

2- La société est un ensemble en perpétuelle reconstruction.

3- Le discours de tous les acteurs peut prétendre à la validité.

4- La liberté de formuler un discours doit s'accompagner de la reconnaissance du fait que celui-ci peut légitimement être critiqué ou déconstruit.

5- Toutes les parties prenantes sont en droit de considérer que leurs intérêts ont une valeur intrinsèque.

6- Toutes les parties prenantes sont en droit de s'attendre à ce que leurs intérêts soient partiellement satisfaits.

7- Les praticiens des relations publics ont un rôle à jouer qui dépasse les cadres techniques de leur pratique.

Dans cette optique, vouloir confiner (d'un point du vue managérial) les relations publiques à un rôle strictement technique ou instrumental apparaît de plus en plus malhabile. Les praticiens d'aujourd'hui peuvent occuper une place privilégiée dans la relation entre une organisation et la société qui l'entoure à cause notamment de leur influence potentielle sur la conduite des affaires et sur les discours de l'organisation. 

Ceci étant dit, les praticiens pourraient aussi contribuer plus activement à la promotion de l'intérêt public auprès de tous les acteurs, qu'ils agissent à l'intérieur ou à l'extérieur d'un cadre organisationnel. Il s'agirait dès lors d'une responsabilité sociale élargie.

Même si les réflexions et analyses de Matthieu Sauvé s'adressent d'abord aux professionnels, les étudiants en communication, et a fortiori ceux en relations publiques, auraient tout intérêt à lire ce livre très riche en enseignement et en perspectives diverses sur une profession qui demeure toujours en devenir, sinon en transformation. Cette lecture ferait d'eux des professionnels non seulement plus éclairés mais mieux outillés devant les nombreux défis qui les attendent...










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Patrice Leroux
 
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