26 octobre 2015

Pour la survie du journalisme

Édition Québec Amérique

Sous la direction de mon collègue Robert Maltais et de l'éditeur Pierre Cayouette, ce collectif offre un ensemble de constats et de réflexions sur l'état de la profession ainsi que sur son avenir. La dernière section est réservée aux points de vue de la jeune génération.

La  révolution numérique n'épargne aucun domaine. Pensons à ce qui s'est passé d'abord dans le monde musical il y a plusieurs années. 

Dernièrement encore, l'industrie du taxi et celle de l'hôtellerie (presque partout dans le monde occidental) avaient maille à partir avec les Uber et Airbnb de ce monde...  Et il semble bien qu'on n'en ait pas fini de sitôt avec les fameuses technologies perturbatrices (disruptive technologies)...

Mais la crise qui secoue le journalisme comporte des risques autrement plus graves en matière de démocratie, de liberté d'expression, d'accès aux informations (et aux données) véridiques et vérifiables, entre autres choses. 

Parmi les 21 auteurs, il faut souligner la contribution de Marc Laurendeau qui souligne l'effritement du journalisme international, les limites du journaliste-citoyen et le statut plus que précaire des correspondants-pigistes, tant aux plans de la sécurité que de l'éthique.

Pour Alain Saulnier, si le journalisme d'enquête demeure le fondement et la quintessence du journalisme, le numérique "peut faire du journalisme d'enquête une voie d'avenir pour réaffirmer la pertinence des professionnels de l'information".

En effet, le journalisme de "faits divers" semble trop souvent dominer l'espace public. Encore dernièrement, je pestais contre un canal de nouvelles en continu qui avait planté une pauvre journaliste devant un immeuble désert où "un homme se serait barricadé dans son logement depuis trois heures ce matin..." et où on attend qu'il se passe quelque chose... Ouf ! J'avais déjà traité de cette tendance misérable en juin 2014 dans un billet intitulé L'information inutile...

Tweet first, verify later ? 

C'était le titre d'une étude de Nicola Bruno en 2010 (ici) à la suite du tremblement de terre catastrophique en Haïti et de sa couverture médiatique. C'est un peu aussi dans cette optique que le chroniqueur politique Gilbert Lavoie signe son texte La rapidité avant la véracité des faits

L'accélération de l'information et les invitations d'experts en tous genres pour commenter l'actualité du moment comportent des risques souvent significatifs. [...] "en sacrifiant parfois la véracité de la nouvelle à la rapidité de sa diffusion, les médias mettent en péril la qualité de cette information".

Le chroniqueur judiciaire Yves Boisvert souligne pour sa part que malgré les formidables possibilités des nouveaux médias, la distance et le recul sont nécessaires à la mise en perspective et à l'esprit critique. 

Sombrer dans le pessimisme ?

Selon Pierre Cayouette, le "véritable journalisme demande du temps" et la "plus grave erreur de la presse écrite serait d'imiter la presse électronique dans sa volonté d'instantanéité". 

Pour survivre, la presse écrite doit "miser sur la quête du sens", sur une analyse en profondeur, sur la rigueur ainsi que sur la qualité de la langue, entre autres. Dans cette optique, le salut passerait aussi par un retour vers un journalisme plus spécialisé et non généraliste.  Il faut dire aussi que dans un flot ininterrompu d'informations et de commentaires incessants, le lecteur aurait tout intérêt à prendre du recul devant certains événements. La contribution journalistique peut favoriser ce type de recul et c'est dans cette perspective que la presse écrite - peu importe le support - doit demeurer optimiste.

Extraction, journalisme de données et programmation

Par ailleurs, j'ai apprécié aussi le texte de Jean-Hugues Roy:  Le grand dérangement numérique: plaidoyer pour un journalisme hacker. Le professeur de l'UQAM retrace les premiers "assauts numériques" dans le monde journalistique, les débuts du journalisme-citoyen et la percée des médias socio-numériques non seulement comme relais vers les contenus mais auprès des journalistes mêmes. 

Il dénonce également la tendance sournoise qui incite les journalistes à produire des contenus... disons plus populaires et mesurés au taux de clic. Le journaliste ne doit pas devenir un cheerleader et encore moins un publicitaire ! Le passage sur l'intelligence artificielle, le journalisme de données et l'automatisation est particulièrement intéressant. J'avais d'ailleurs glissé un mot sur le logiciel Wordsmith (ici) en août 2015, dans un billet sur l'avenir du travail. 

Ce qu'il faut retenir du texte de Roy demeure son plaidoyer en faveur de la maîtrise des techniques d'extraction de données et même de programmation. Si l'avenir du journalisme repose en grande partie sur l'enquête, les "news getters de demain sont ceux qui seront capables de fouiller efficacement dans ces réseaux pour y débusquer l'information" (p. 141).

Participer à une révolution...ou non

Maryse Tessierjournaliste responsable des médias sociaux à La Presse+ (et particulièrement de sa page Facebook), souligne sans ambages que "la frontière peut être mince entre mon travail de journaliste et mes tâches de promotion des articles et des dossiers de mes collègues dans une optique davantage publicitaire".  Il faut donc composer avec des éléments qui semblent s'opposer: "rester dans sa tête de journaliste tout en tenant compte des variables de temps et de production imposés par les collègues de La Presse+". 

De son côté, Maia Loinaz raconte de façon quasi pamphlétaire pourquoi elle ne sera pas journaliste, n'épargnant personne au passage dont les établissements d'enseignement offrant un cursus en journalisme. Sa réflexion très personnelle, à titre de journaliste, de comédienne et d'auteure est intéressante.

Enfin, Thomas Gerbet, malgré ses inquiétudes, entrevoit l'avenir du journalisme par le biais de la collaboration (et non de la concurrence effrénée). Si le métier exige aujourd'hui une "polyvalence déroutante", le développement du transmédia ainsi que le journalisme de vérification des faits annoncent aussi de belles perspectives.

Je n'ai fait qu'effleurer la pensée d'un peu moins de la moitié des auteurs de cet excellent ouvrage. Les journalistes - Pour la survie du journalisme - devrait interpeller tous ceux et celles qui s'intéressent au nouvel écosystème des médias et, par le fait même, à l'ensemble des communications.

Merci de votre lecture !

Patrice Leroux



7 octobre 2015

Storytelling : tactique efficace ?

Image courtoisie de stockimage / freedigitalphotos.net
Le Storytelling (ou communication narrative) est un des moyens de communication parmi les plus anciens.

Historiquement, c’est d’abord par la transmission orale puis en littérature, en journalisme et au cinéma que les techniques de la communication narrative ont été les plus utilisées.

Depuis quelques années, le monde des communications corporatives (marketing, publicité et relations publiques) semble vouloir mettre davantage l’accent sur divers récits narratifs (ou storytelling en anglais).

Ces récits sont  centrés sur la condition humaine dans le but d’attirer l’attention du public, pour l’influencer, l’émouvoir, renforcer  une idée ou un concept, toujours au service d’une organisation, d’une marque ou d’un produit. 

Pensons à ce que font de grandes marques mondiales comme Heineken ou Red Bull. Les histoires (réelles ou fictives) et événements créés autour de ces produits permettent aux consommateurs de s’identifier à certaines valeurs, modes de vie et images fortes…

Il  s’agit donc d’un ensemble de techniques utilisées pour raconter une histoire faisant appel  à une vaste gamme d’émotions et de sentiments. 

Une histoire transmise avec des recours émotifs demeure habituellement plus convaincante que celle utilisant la logique argumentative ou encore le battage publicitaire répétitif du style "...lave plus blanc...".

De plus, quand on réussit à stimuler l’émotion, on encourage la mémoire…

Malgré la variété des formats (conte, discours, saga, témoignage), celle des supports (conférence, texte, vidéo, web) et un éventail de registres (comique, épique, ludique, merveilleux, pathétique, etc.) le storytelling reprend essentiellement un même grand schéma.

Un schéma narratif qui a fait ses preuves 

Dans sa plus simple expression, ce schéma comprend une mise en situation initiale (personnage et environnement) suivie par l’apparition d’un élément perturbateur qui, à son tour, déclenche une quête. 

Cette quête (ou objectif)  provoque des éléments de péripétie (défi, épreuve, rencontre, combat, victoire ou défaite); c’est souvent la matière première d’une histoire.  

La résolution de la quête ou l’atteinte de l’objectif crée un moment de tension menant au dénouement (heureux, le plus souvent !). Ce schéma offre donc un cadre quasi universel dans la forme mais non dans le contenu.

Pouvez-vous reconnaître certains éléments du schéma narratif dans les exemples suivants ?

1)   Le grand patron de Tesla Motors présente un dispositif élégant de batteries pour stocker l’énergie solaire ou électrique.  Est-ce le début d’une transition vers un monde d’énergie durable ?

Elon Musk debuts the Tesla Powerwall (18 minutes)




2)      La mission de la Fondation  Make-A-Wish® / Fais-Un-VœuMD Québec  consiste à réaliser le rêve d’enfants atteints de maladies très graves. Plusieurs textes témoignent de vœux accomplis. 

Le texte ci-dessous  opte pour un procédé narratif objectif mais néanmoins poignant.

« Je souhaite aller nager avec les dauphins »


3)   Dans un tout autre registre,  Nespresso fait appel à deux acteurs populaires pour mousser ses capsules de café. Jusqu’où peut-on aller pour déguster sa boisson favorite ?

Georges Clooney et Jean Dujardin pour Nespresso (2 minutes)




Le schéma narratif pour la communication interne ?

En communication interne, on entend souvent parler de mise en récit organisationnel (organizational narrative) où des techniques de communication narrative sont aussi utilisées dans divers contextes.

Le récit organisationnel doit pouvoir s’inspirer d’une identité forte : mission, vision, culture d’apprentissage et sensibilité aux  grands enjeux sociétaux. Il peut, par exemple, raconter une réalisation de l’entreprise à travers le récit qu’en font ses dirigeants. 

Ultimement, la rédaction de discours, de communiqués et même la présentation d’un rapport annuel peuvent intégrer des éléments de communication narrative.

Par ailleurs, il n’est pas rare de lire ou d’entendre des histoires mettant l’accent sur une réussite ou une épreuve vécue par un membre de l’organisation, dans le but d'établir une proximité et une connexion plus humaine avec les employés.

Enfin, il est entendu que les diverses mises en récit organisationnel participent à l’élaboration de la réputation de l’organisation. Pour certains spécialistes, cette mise en récit organisationnel définit même la pratique des relations publiques contemporaines.

La communication narrative, quel que soit son contexte particulier, demeure un puissant levier stratégique pour annoncer des intentions de transformation, de changement ou de renouvellement;  son schéma narratif  de base permet de les mettre en oeuvre.

Êtes-vous prêt à raconter votre histoire ?


Quelques références intéressantes

Il était une fois le storytelling (Solenne Durox)

Le Storytelling ou la communication narrative, support de la culture organisationnelle dans la vidéo d’entreprise (Mémoire de Sophie Queval)

The Irresistible Power of Storytelling as a Business Tool (Harrison Monarth)

The art of storytelling in 6 content marketing context questions (J-P De Clerk)

Gombita, Judith, Constructing the Organizational Narrative : PR définition in the making.

2015 Design Trend to Watch: Responsive Storytelling
 
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